Une bonne alimentation pour stocker du carbone

Bactéries sollicitées
Si les pesticides, les engrais minéraux, les engins lourds, le travail du sol, l'absence de couverts n'expliquent pas la dégradation systématique des sols cultivés, tout converge vers les exportations massives de nutriments par les plantes cultivées. Fin 2021 j'ai publié dans la revue internationale Geoderma un article où j'indique qu'un champ de blé, qui produit 7 tonnes de grain par an et par hectare, exporte à surface et temps de pousse égaux 153 fois plus de P qu'une coupe à blanc de forêt de feuillus, 34 fois plus de P que la viande produite sur pâture et 20 fois plus de K que ces deux milieux naturels (voir tableau). Pour trouver les quantités astronomiques de nutriments dont elles ont besoin pour leur développement, les plantes sollicitent des bactéries (en sécrétant des exsudats parfois nommés « carbone dissous ou liquide ») pour dégrader l'humus des sols. Ainsi, plus on plante, plus on exporte des nutriments et plus on détruit d'humus du sol. Il en est de même des apports au sol de résidus fortement carbonés comme les pailles de céréales qui nécessitent, pour être dégradées, de grandes quantités de nutriments que les bactéries vont aussi chercher dans l'humus du sol.

Bonnes pratiques
Dès lors, comment renverser la tendance, refaire de l'humus dans les sols et améliorer leur qualité ? Les chercheurs du début du XXe siècle et les agriculteurs savaient les vertus des fumiers décomposés (qui apportent des nutriments essentiels sans acidifier le sol), du trèfle et de la luzerne qui puise les nutriments dans l'atmosphère et les couches profondes des sols et des roches pour les accumuler dans les horizons de surface du sol. Plus récemment Kirkby (2013) et Poeplau (2016) nous indiquent que l'humus se forme plus qu'il ne se détruit lorsque les apports de nutriment au sol sont importants et lorsqu'ils respectent les ratios de nutriments trouvés dans les bactéries du sol, source de l'humus. Parce que les pailles sont bien trop riches en carbone par rapport aux besoins des bactéries, l'apport d'une tonne au sol devrait être compensé par 5 kg d'azote, 2 kg de phosphore et 1,4 kg de soufre. Compte tenu de cela, améliorer la fertilisation durant le cycle cultural pour éviter la destruction d'humus liée aux déséquilibres nutritionnels, apporter des fumiers, fertiliser les résidus de récolte avec des engrais complets de type 20-10-10-5, ou fertiliser des couverts avec une formule d'engrais complet adaptée constitueront des pratiques agronomiques et écologiques de premier plan pour stocker massivement du carbone dans les champs cultivés et améliorer la production. Or, nous sommes largement déficitaires en nutriment, sauf sous mais. A ce jour les incitations à planter des légumineuses qui sont broyées au champ vont dans le bon sens. Par contre, l'interdiction de fertilisation des SIE ou des colzas à l'automne va à l'encontre de cela et des objectifs de protection des eaux : en détruisant l'humus des sols, elle conduit à plus d'érosion et de fuite des nutriments (dont l'azote) vers les cours d'eau et les nappes.

Vincent Chaplot

Produits mentionnés dans cet article

Posté le 4 avril 2023